Fleurs locales Un projet Franco-Suisse pour des graines locales
Comment faire émerger une production de graines sauvages locales ? Un projet européen vise à répondre à cette question et la région Rhône-Alpes est en avance en la matière.
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Projet transfrontalier franco-suisse, « Fleurs locales » œuvre à l’émergence d’une filière de promotion et de production de semences d’origine locale. Ce projet est financé dans le cadre du programme Interreg France-Suisse 2014-2020 avec le soutien financier du Fonds européen de développement régional (Feder), des fonds fédéraux côté suisse et du département de la Haute-Savoie côté français.
Une journée technique et participative : « Notre nature, semer ensemble, vers une filière de production de semences de fleurs sauvages locales », organisée le 21 juin dernier, a permis de présenter plusieurs expériences d’utilisation de semences locales dans les chantiers d’aménagement et de réfléchir sur l’avenir de cette filière (voir aussi le Lien horticole n°1067 du 22 août 2018). Le programme a commencé en 2016 et s’intéresse à deux volets : un volet production (collecte et multiplication en parcelles cultivées) et un volet revégétalisation (diagnostics, réensemencements, expérimentations).
La production des semences a été confiée à trois acteurs de l’économie sociale et solidaire : Alvéole, la ferme de Chosal et Champ des cimes. Ces structures assurent l’ensemble des différentes étapes : semis en minimottes, repiquage et culture en pleine terre sur film de paillage, récolte et tri des semences.
Si le processus de production est à présent bien lancé, plusieurs questions se posent sur sa pérennité, notamment le problème de la disponibilité du foncier pour les mises en culture, l’accompagnement technique, une définition des besoins clairement exprimés de la part des entreprises et maîtres d’ouvrage.
Végétaliser les délaissés autour des autoroutes
La société ATMB (Autoroutes et Tunnel du Mont-Blanc) gère, en plus du tunnel, un réseau de 130 km d’autoroute avec environ trois hectares d’espaces verts par kilomètre. Sollicitée par un des acteurs de « Fleurs locales », la société est aujourd’hui impliquée dans un projet à deux niveaux : mise à disposition de foncier pour la production et utilisation des semences locales dans les chantiers. Dans une région très touristique et proche de la Suisse comme la Haute-Savoie, et avec une agriculture à forte valeur ajoutée, une des difficultés du programme est de disposer de foncier pour les mises en culture. Aussi, le rapprochement avec la société ATMB a permis de développer de nouvelles surfaces de culture sur des zones de délaissés autour des autoroutes. La première étape a été la mise en culture d’une parcelle 7 000 m² proche de l’aire de repos de Passy avec la production, dès 2016, de 37 espèces de fleurs de prairie, puis depuis 2017, d’une parcelle de 4 000 m² à Bonneville, avec l’association Alvéole.
Dans un second temps, deux chantiers test d’introduction des semences locales dans les chantiers d’aménagement ont été engagés en 2018 à Cluse en mai et à Valleiry en fin d’été. L’objectif est à présent de pérenniser ces engagements avec la possibilité de mettre à disposition de nouvelles parcelles pour la culture et de systématiser l’utilisation de semences locales dans les chantiers d’aménagement : plusieurs zones sont déjà identifiées pour des chantiers à court et moyen terme.
Pour Gaétan Masson, responsable des domaines d’exploitation et environnement, « l’utilisation de semences locales est basée sur le volontariat, ATMB a une volonté d’exemplarité dans ce domaine. Le surcoût des semences locales, bien que significatif, reste marginal à l’échelle des projets, les principales difficultés sont liées à l’irrégularité et aux difficultés d’anticipation des besoins, (incertitudes sur les plannings des opérations).
Pour remettre en état les carrières
Lancée en 2015, Vicat Odyssée est une démarche dédiée à la préservation des insectes pollinisateurs et abeilles sauvages. La remise en état des carrières à partir de semences de fleurs sauvages et locales contribue à cet objectif. Les carrières peuvent devenir des espaces d’expérimentation, voire des lieux de production de semences. Le groupe Vicat exploite 80 carrières en France, des sites ICPE (installation classée pour la protection de l’environnement) avec une autorisation d’exploiter comprise entre quinze et trente ans. La remise en état en fin d’exploitation est obligatoire, ce réaménagement est coordonné à l’avancée de l’extraction. Les prairies sont le type de réhabilitation le plus fréquent et peuvent présenter un aspect différent selon les sites ou sur un même site en fonction du milieu : prairie sèche, milieu pauvre ou riche, milieu humide… Au fil des années, les mélanges utilisés ont évolué avec un cheminement progressif des espèces ou variétés horticoles vers des fleurs sauvages : prairies basiques, prairies fleuries, plantes uniquement indigènes, graines locales.
Le cahier des charges impose un inventaire floristique et faunistique en amont, avec de forts enjeux par rapport aux espèces protégées. Par exemple, sur certains sites, la présence des papillons, tels le cuivré des marais ou l’apollon, impose de réimplanter leur plante hôte, respectivement le Rumex et le Sedum orpin. Le coût des semences en fleurs locales est estimé entre 0,10 et 0,15 €/m² mais comparé au montant global des travaux, ce coût reste inférieur à 10 %. Les mélanges proposés par les fournisseurs ne sont jamais 100 % végétal local. Suivant la composition, une partie plus ou moins importante du mélange sont des semences classiques.
Julien Michalat, ingénieur agronome chez Vicat, souligne le besoin d’accompagnement et de suivi technique des travaux : validation des mélanges, appui technique pour le semis et vérification de la composition des mélanges livrés, estimation de la représentativité des espèces semées sur le terrain, étude de la recolonisation par la flore environnante. À la moindre variabilité de topographie, altitude ou granulométrie du sol, on peut avoir une représentativité différente pour un même mélange implanté.
Le label a fait évoluer les marchés
À Livet-et-Gavet (38), EDF a construit un nouveau barrage et une nouvelle usine en remplacement de six petits ouvrages qui seront détruits ou transférés aux collectivités. Soit rien que pour le barrage 9 ha utilisés, dont 1,6 km de berges avec de forts enjeux environnementaux. Les espèces initialement présentes sur le site ont été préalablement listées. Dès 2010, le CCTP (cahier des clauses techniques particulières) pour les travaux de revégétalisation spécifiait la liste des espèces, la qualité et la provenance des végétaux ou des mélanges de semences avec une forte volonté de travailler avec des origines locales. La consultation et l’attribution des marchés ont eu lieu en 2011. Néanmoins, en 2014, les éléments du cahier initial ont été affinés suite à la création du label « végétal local ». Pour garantir la provenance des végétaux ou semences, le choix s’est porté vers une collecte de graines et végétaux dans un rayon de vingt-cinq kilomètres autour du chantier sur des zones bien identifiées, y compris sur d’autres sites EDF. L’entreprise Zygène a récolté plus de 500 kg de graines provenant de plus de 60 espèces. Elles ont été triées et conditionnées pour la mise en œuvre des mélanges. L’ensemencement sur le chantier s’est déroulé en deux phases, car le disponible de graines était insuffisant la première année. Les talus ont été semés en priorité, manuellement, le reste des surfaces l’année suivante, par hydroseeding. Parallèlement, 8 350 arbutes répartis en 18 espèces ont été collectés, sous une ligne haute tension qui devait être défrichée.
Sur les trois ans à venir à l’échelle des Alpes, une quinzaine de chantiers sont susceptibles d’être ensemencés en végétal local, soit près de cinquante hectares. Frédérick Jacob, ingénieur écologue au centre d’ingénierie hydraulique EDF, précise que beaucoup d’installations, notamment les barrages, se situent dans des milieux présentant de forts enjeux environnementaux nécéssitant de mettre en oeuvre ces méthodes de renaturation.
Pour ce type de chantier, il convient d’être très rigoureux dans la rédaction des CCTP, le label végétal local y aide, de bien verrouiller le cahier des charges en ce qui concerne la composition des mélanges, l’origine des graines et leur traçabilité. Il faut aussi définir clairement quelles espèces doivent obligatoirement être d’origine locales et lesquelles peuvent être substituées par des semences non locales en cas de difficultés d’approvisionnement. Sans ces précisions, il est difficile de comparer des offres de prix. L’acquisition de semences directement par le maître d’ouvrage peut faciliter les appels d’offres. EDF a fait ce choix, l’entreprise paysagiste assure uniquement le semis. Ce type de prestations séparées peut poser problème en cas de mauvaise levée.
Il faut pouvoir discerner sur qui repose la faute et la garantie : est-ce un problème lié à la semence fournie ou est-ce un défaut de mise en œuvre par l’entreprise qui réalise les travaux ? Aussi, il est impératif de vérifier la qualité des mélanges livrés : prélèvement d’échantillons, tri des graines espèces par espèce, puis tests de germination sur parcelles test.
Claude Thiery
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